« Je refuse – et sous mon entière responsabilité – de persécuter des israélites qui, à mon avis, ont droit au bonheur et à la vie, aussi bien que Monsieur Laval lui-même. »


Jean Phillipe et Jeanne Bouillane se marient en 1936 au Maroc à Casablanca, où Jean travaille dans un régiment de tirailleurs sénégalais. Tous deux sont originaires du Rhône. En 1937, Jean quitte l’armée et passe le concours de commissaire de police. Mobilisé comme des milliers de Français en septembre 1939, Jean Phillipe participe à la campagne de France jusqu’en juin 1940. Il fait partie des 1 800 000 prisonniers de guerre. Rapidement, il s’évade du camp allemand et rejoint sa femme et sa fille Régine à Lourdes.

Premiers engagements dans la Résistance
Commissaire de police à Lourdes, Jean Phillipe forme rapidement un groupe de résistance et participe aux premières filières d’évasion par les Pyrénées avec des militaires belges et polonais. Il entre alors en contact avec le réseau belge Sabot. Avec sa femme, ils accueillent chez eux les candidats à l’évasion qui souhaitent rejoindre Londres.
En novembre 1941, Jean Phillipe est nommé à Toulouse. Sa famille emménage à Toulouse tout en conservant des attaches à Lourdes. Jean Phillipe développe ses activités clandestines (faux papiers) et utilise sa fonction de commissaire pour prévenir et empêcher les arrestations.
Le réseau Alliance
A l’été 1942, Jean Phillipe est contacté par un agent du réseau de renseignement Alliance. Il recrute au sein de la police toulousaine. Sous le pseudonyme de Basset, il devient rapidement le chef du réseau pour le sud-ouest, désigné par la chef du réseau Marie-Madeleine Fourcade alias Hérisson. Le réseau Alliance, en contact avec les Britanniques, est l’un des réseaux les plus importants avec près de 3 000 membres. La police allemande l’appelle « l’Arche de Noé » en raison des pseudonymes d’animaux pris par les résistants. Ce réseau compte de nombreux militaires et fonctionnaires, en particulier des policiers.

Avec l’aide de Jeanne, Jean Phillipe dissimule dans la maison familiale un poste émetteur pour transmettre rapidement à Londres les renseignements d’ordre militaire récoltés par les agents du réseau. Une intense activité de renseignement et d’hébergement des membres du réseau se développe dans leur maison. Le couple fournit de nombreux faux papiers à toutes les personnes traquées, résistants ou juifs persécutés en instance de passage par les Pyrénées ou par la Suisse.
Une lettre de démission exceptionnelle
Début 1943, Jean Phillipe ne parvient plus à conserver sa fonction officielle de commissaire de police face aux exigences de l’Etat français. Contraires à ses valeurs, les ordres de sa hiérarchie relatifs aux juifs le poussent à démissionner. Jean Phillipe décide d’entrer dans une totale clandestinité en ayant auparavant écrit les motifs de sa démission dans un courrier hors du commun.

Cette lettre exceptionnelle est adressée au secrétaire d’Etat à la police à Vichy et à l’intendant régional de police le 13 janvier 1943. Le préfet de région mobilise les forces de police pour retrouver Jean Phillipe. Finalement, la police allemande le trouve en premier dans le cadre de l’enquête qu’elle mène depuis plusieurs mois sur le réseau Alliance. Un agent de liaison de Jean Phillipe est arrêté par la Gestapo avec de nombreux documents parmi lesquels un petit papier portant l’adresse et le mot de passe pour trouver la cache de Jean Phillipe à Beaumont-de-Lomagne (Tarn-et-Garonne)
L’arrestation et la condamnation à mort de Jean Phillipe
Jean Phillipe est arrêté par les nazis le 29 janvier 1943. Accusé d’espionnage, il est très violemment interrogé dans les locaux de la Gestapo à de multiples reprises. Jeanne remue ciel et terre auprès de l’administration française et parvient à voir son mari le 26 mars 1943. Il est défiguré par les violences subies. Transféré à la prison de Fresnes, il est de nouveau interrogé par les nazis qui ont arrêté de nombreux résistants du réseau Alliance. Envoyé en Allemagne, il est détenu dans une prison avant d’être jugé par un tribunal militaire allemand le 14 décembre 1943. Condamné à mort pour espionnage, Jean Phillipe est fusillé à l’aube du 1er avril 1944 avec 13 résistants d’Alliance à Karlsruhe.

L’arrestation et la déportation de Jeanne Phillipe
Après l’arrestation de son mari, Jeanne poursuit les activités résistantes dans leur domicile du quartier des Chalets à Toulouse. Elle y est arrêtée le 21 août 1943 par la police allemande alors qu’elle héberge l’un des chefs du réseau Alliance. Jeanne parvient à retarder l’entrée de la police dans sa maison permettant ainsi au résistant de s’enfuir avec des documents compromettants. Emprisonnée quelques semaines à Toulouse, elle est déportée au camp de concentration de Ravensbrück puis transférée dans un Kommando de Hanovre. Face à l’avancée des Alliés, elle est dirigée vers le camp de Bergen-Belsen où elle est libérée par les Britanniques en mai 1945.

Après la guerre, tous deux reçoivent des distinctions honorifiques pour leur action dans la Résistance. Jeanne s’investit dans la transmission au sein de l’amicale du réseau Alliance et fait don de nombreux objets ayant appartenu à son mari au Musée de la Résistance et de la Déportation. En hommage à son action, le musée créé en 1977, est appelé Musée Jean Phillipe.

En 1995, Jean Phillipe est nommé « Juste parmi les Nations » grâce au témoignage apporté par le résistant Lucien Fayman qui a attesté de l’action menée par Jean Phillipe pour sauver de nombreux juifs en leur fournissant de faux papiers d’identité.
